En couple depuis 2008, nous avons eu un 1er enfant qui va avoir 3 ans. J'ai très mal vécu ma grossesse car j'ai pris énormément de poids. J'ai ressenti une grande solitude. Les suites n'ont guère été meilleures car Enzo n'a fait ses nuits qu'à l'âge de 22 mois, et mon compagnon ne s'en occupait quasiment pas. Il s'est mis à son compte en tant qu'artisan et nous avons fait l'acquisition d'une maison ensemble qui a été en travaux pendant près d'un an (et qui n'est pas terminée). il est parti travailler sur Paris pendant près de 5 mois et il rentrait seulement toutes les 3 semaines, mais grâce à mon amour maternel et à mon travail, j'ai vite repris le dessus.
Janvier 2013, toujours après une grossesse un peu difficile à cause de la solitude, j'ai eu mon deuxième enfant David.
En juillet 2013, j'ai eu quelques saignements. Comme j’allaitais et que j'espaçais les tétées, je pensais que mon retour de couche était arrivé. De fait j'ai donc pris rendez vous chez mon gynécologue puis j’ai fait un test : positif. Un sentiment de panique m'a envahi. J'ai appelé le papa et la seule phrase que j'ai entendu dans notre échange a été "je n'en veux pas ! Ça tombe mal, je ne serai pas là. » J’ai coupé en disant "tu permets que je donne mon avis car c'est moi qui le porte ! On pourra en parler ce soir... » .Il a répondu "ouais, c'est ça, tu le portes, si tu fais le choix de le garder, je serai bien obligé de faire avec et d'assumer ».
Je ne sais pas pourquoi ces mots, plus la panique m'ont acculée à un choix qui m'a semblé le plus évident : ne pas le garder... m'en débarrasser... ne plus en parler...et j'ai gardé le silence concernant cette décision dans mon couple à partir de là. Je suis donc allée de suite à la maternité. Ils m'ont fait une écho qui a confirmé le test. L'interne n'a pas su déterminer "l'âge" du fœtus a cause d’un petit décollement placentaire. J'ai formellement interdit à l'équipe médicale de m'imposer un psy, de prononcer le mot "avortement" (que je n'ai prononcé que ces dernières semaines), j'ai bien dit que j'avais deux enfants de 2 ans et demi et de 8 mois, que j'étais raisonnable et sensée et qu'en aucun cas je ne pouvais assumer physiquement la venue d'un autre nourrisson.
Je ne pensais qu'à moi, à la façon dont j'allais me retrouver seule, avec 3 enfants dont 2 ne marcheraient probablement pas en même temps... j'étais paniquée et seule car il n'est jamais venu avec moi.
Le 9 septembre 2013, je suis donc retournée à l’hôpital pour mon écho. Une interne m'a reçue et m'a dit, toute contente, que le bébé grandissait bien. Je lui ai dit "mais le décollement? ... elle ne l'a pas vu. je n'ai jamais regardé l’échographie... Je lui ai dit que je venais chercher des médicaments afin de mettre un terme à ce développement, elle a contacté mon gynécologue qui m'a prescrit du cytotec.
Je suis allée le chercher à la pharmacie et j'en ai pris un au lieu de 2, ...elle avait dit d'en prendre 2, 4 heures plus tard me semble t'il... mais avant même que j'ai pu en reprendre 2 j'ai fait une hémorragie massive.
J'ai été amenée aux urgences par mon frère qui était avec moi pour me soutenir ce jour là avec ma sœur. J'ai laissé mes 2 enfants avec elle. Aux urgences, j'ai pris conscience que la situation était car je perdais du sang abondamment. Dans la panique, le gyneco a tourné l'écran, j'ai vu le bébé. Mon bébé. Il m'a dit "appelez de suite votre conjoint. on vous amène au bloc maintenant... (Je n'arrivais pas à le joindre). J'ai posé la question en voyant que tout le personnel paniquait. "est ce que je vais mourir?? ... pas de réponse. J’ai reposé la question, gravement, il a répondu « je vais faire en sorte que non... »
J’ai pris conscience de la gravité de mon état et j'ai demandé pourquoi ça saignait autant. Il a répondu « Le bébé est bien accroché et ça contracte pour l'expulser. Tant que ça contractera, vous vous viderez de votre sang, il faut que je l'enlève. »
Après avoir envoyé un texto à tous mes proches pour dire « je vais passer au bloc, tout va bien, je vous aime » . J'ai commencé à paniquer, à penser que j'allais mourir seule, là, que j'allais laisser mes enfants. Tout ça parce que je refusais de laisser pousser celui que j'avais en moi... Monsieur est quand même arrivé et j'ai été amenée pour le curetage au bloc.
Le lendemain à mon réveil, pas de douleur, pas de saignement, pas de maux... rien... le vide... plus rien. J'ai tellement eu peur de laisser mes petits que j'ai été "soulagée". L'obstétricien avant que je parte m'a dit que j'étais passée par une belle porte car si j'avais fait ça la nuit, je ne me serai jamais réveillée vu que je n'avais eu aucune douleur même pendant les contractions de l'utérus. Je suis donc rentrée chez moi, vidée et soulagée... J'ai perdu l'appétit comme après un accouchement mais je me suis dit que c'était normal..
J'ai eu un premier électrochoc en recevant par erreur, chez moi un courrier intitulé "abortum" qui disait que l'analyse d’anatomie pathologique révélait que le fœtus était en bonne santé, sans aberration génétique....
Puis ça a été insidieux...J'ai commencé à perdre du poids, beaucoup de poids... j'avais encore des kilos de ma grossesse, de 62 kg je me suis retrouvée à 52 kg en quelques mois... j'ai commencé à me fermer, à soupirer sans cesse, à avoir des angoisses devant les nourrissons, les femmes enceintes...à être sur les nerfs, mais à l'époque je ne m'en rendais pas compte... J'ai perdu ma libido et chaque rapport me ramenait à « et si malgré ton stérilet, ça se reproduisait.. ?»
En avril 2014 (période où le bébé serait arrivé), je me suis fait une luxation de la mâchoire tellement j'étais crispée. J'ai commencé à broyer du noir, mais ça allait encore ! En parallèle, me voyant dépérir et négativer, mon compagnon m'a « soutenue » à coup de « t'es dépressive, t'es négative, tu ressembles plus à rien, tu fais que souffler, tu supportes plus rien... ! »
Le 9 septembre 2014, j'ai passé la journée à penser à ce bébé. Et là, tout est revenu peu à peu... la vision du bébé à l'écho, cette phrase « il est bien accroché... » . Les phrases de mon compagnon, les "si"... tout s'est accéléré. A cette même période, après un rendez vous chez la pédopsy, (car forcement, je trouvais que mon fils n'allait pas très bien), elle m'a dit que le problème venait de moi et de mes angoisses et qu'il fallait que je sorte ce que j'avais sur le cœur « à qui de droit », car elle me trouvait "prête à sauter du haut de ma falaise"...
C'est ce que j'ai fait ...Puis, il y a eu, un jour, une réflexion de mon compagnon, pour un truc insignifiant par rapport à ce que j'ai déjà pu encaisser, pour que mon cerveau disjoncte.
J'emploie maintenant des termes forts mais c'est la violence du réveil et cette brutalité : pourquoi d'un coup ? Pourquoi pour si peu ? Pourquoi ai-je sorti ma colère suite à cette réflexion alors que j'ai tout posé et que je lui ai dit que je lui en voulais à lui, car il avait choisi pour nous, et qu’après il m'avait laissé pourrir, comme ça ? Pourquoi ma colère ne fait que grandir ? Pourquoi j'ai si mal, pourquoi j'ai gardé ça pour moi enterré au plus profond plutôt que d'en parler ? J'ai plein de trous dans les souvenirs de cette année, des incohérences, des incompréhensions.. C’est comme si je me réveillais d'une cuite qui avait duré un an ou d'un coma et que je n'étais plus moi au réveil.
C'est pour cela que je dis que j'ai vraiment l'impression que je suis morte le 9 septembre 2013.
J'ai une haine viscérale envers mon compagnon car j'estime qu'il est aussi responsable, bien que mon corps m'appartienne de ce choix. Nous pouvions matériellement et financièrement l'accueillir ! Seulement, aujourd’hui, ma conclusion est que j'ai arraché mon bébé de mes tripes pour satisfaire son égoïsme...
Maintenant, je ne fais que pleurer, j'ai toujours l'impression d'avoir avalé des kilos de cotons, le moindre "ça va pas toi aujourd'hui? » me met dans un état de tristesse profonde et déclenche en moi des torrents de larmes. je suis dans un état incompréhensible. Je passe d'une euphorie incompréhensible pour sombrer vers un état quasi suicidaire, la seconde qui suit... je ne comprends pas, je ne sais pas comment gérer. Je passe mon temps à errer au travail, chez moi, en voiture... j'entends « errer » dans le sens où mon corps est là, mais pas mon esprit..
Mon esprit est en colère, je me dégoute, je suis vraiment en colère, enragée.. Contre tout, contre n’importe quoi. J’ai trop mal en fait et j'ai besoin de savoir si c'est normal, et comprendre... Pourquoi je suis restée endormie aussi longtemps ? Et pourquoi je rejette tout en bloc comme ça ? Et que mon cœur est vide ? J'ai essayé d'être claire et j'espère que vous comprendrez un peu ma détresse.